Le pèlerinage de saint Renobert à Romprey

« D’un aspect extérieur fruste, ce petit oratoire attire à peine l’attention du voyageur qui traverse le hameau isolé…Et pourtant, s’il est un édifice qui mériterait avant bien d’autres d’être classé comme monument historique, c’est bien celui-là.

Figure 1  : la chapelle de Romprey (© D.Masson)

Les premières origines de la chapelle de Romprey semblent se perdre dans la demi-nuit de la légende…Et voici celle qui s’est transmise de père en fils dans notre hameau : saint Renobert qui, au septième siècle, était évêque de Bayeux, prit une part particulièrement brillante au concile de Reims. Le pape Vitalien, informé de l’influence de ses vertus, chargea son légat de lui en témoigner sa satisfaction auprès de saint Valbert, compagnon du roi Dagobert. Saint Renobert se rendit à Luxeuil pour voir saint Valbert ; il traversa la Champagne, passa à Romprey dont les habitants, plus nombreux qu’aujourd’hui, lui firent grand accueil ; il y fit édifier une chapelle en quelques jours. Saint Renobert prêcha souvent avec une onction toute-puissante, excita beaucoup de ferveur, ramena nombre d’égarés et gagna tous les cœurs. Romprey était alors peu cultivé et les habitants laissaient errer leurs troupeaux dans les bois, où ils étaient fréquemment décimés par les loups. Tant que le saint fut là, aucun de ces animaux féroces ne parut. Saint Renobert prêcha à la Croix des Tilleuls. Des maladies violentes contre lesquelles les médecins étaient impuissants furent guéries par lui ; il apaisait les querelles, faisait rentrer dans le devoir ceux qui s’en écartaient et rendait obéissants les plus révoltés. Lors des invasions des Normands, qui détruisaient les églises, les reliques de saint Renobert furent transportées de Bayeux à Besançon : on passa alors par Romprey ; on entreposa quelques jours le corps du saint dans la petite chapelle qu’il avait édifiée. Beaucoup de conversions s’opérèrent pendant ce temps.          

Mais, naturellement, de cette première chapelle qui aurait été érigée au septième siècle, il ne reste aujourd’hui pas le moindre vestige. Du fait que la légende nous parle de quelques jours seulement employés pour la construction de la chapelle, on peut, avec beaucoup de vraisemblance, supposer que l’édifice aurait été alors construit en bois. Antérieurement au quinzième siècle, on sait que, dans nos régions, les constructions rurales de faible importance étaient rarement bâties en pierre et tombaient facilement en ruines.

Vers 1492, Edme Régnier, par son mariage avec Jeanne de la Ferté, était devenu seigneur de Romprey. Le domaine était peu important au début, mais le nouveau seigneur l’avait considérablement agrandi ; il avait construit un petit château et voulut y adjoindre une chapelle.

Figure 2  : le château de Romprey (© D.Masson)

Mais, pour l’édification de cette dernière, l’autorisation du suzerain, en l’occurrence le grand prieur de Champagne, était nécessaire. Frère Hélie du Boys, grand prieur, au cours de la réunion du chapitre provincial de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, tenu à Voulaines le 16 juin 1500, autorise Edme Régnier à construire pour sa dévotion une chapelle au lieu de Romprey.  

Il est très possible que ce soit sur l’emplacement où la tradition situait la chapelle primitive que celle qui nous occupe aujourd’hui ait été construite.                                                    

Extérieurement, l’édifice est excessivement simple : rectangulaire de 9 mètres sur 6. Le pignon antérieur est surmonté d’un campanile contenant une petite cloche. La cloche ancienne (hors d’usage sans doute) fut remplacée, en 1757, par le seigneur de Romprey, qui était alors le comte Guy de Chastenay.

  Le 31 août 1757, le curé de Bure, messire Claude Maillard, assisté de messire Claude Roger, prêtre chanoine de l’église collégiale de Saint-Symphorien d’Epoisses, avait procédé à la bénédiction de la cloche aux noms de saint Guy, saint Renobert et saint Louis. La cloche porte l’inscription suivante : l’an 1757, j’ai été bénite et nommée Louise par M. Guy de Chastenay, capitaine au régiment de Marbeuf-Dragons, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, et par demoiselle Louise de Chastenay, demoiselle d’Eschallot.                                                      

  La porte d’entrée de la chapelle est ornée de la classique sculpture en accolade du quinzième siècle.  Devant la chapelle se trouve une petite esplanade sur laquelle on peut encore voir de gros pavés inégaux : c’était, disent les vieux documents, la place accoustumée à faire acte de justice.  La chapelle reçoit le jour par deux fenêtres, l’une en ogive au fond, l’autre en plein cintre du côté de l’épître.

Figure 3  : la porte d’entrée de la chapelle, le clocheton et sa cloche (©D.Masson)

Si l’extérieur n’offre d’autre intérêt particulier que sa très simple facture antique, l’intérieur, par contre, est des plus curieux. En entrant, les regards du visiteur sont immédiatement frappés par les peintures murales du chœur.

Figure 4  : les fresques du chœur, inscrites au titre des monuments historiques en 1996©

Au dix-septième siècle, elles avaient été recouvertes d’un badigeon, puis un grand retable de boiseries avait masqué le tout. Les choses en étaient là, lorsque, en juillet 1933, lors des travaux nécessaires à l’inhumation définitive de Mme la vicomtesse de Chazelle, on fut amené à démonter provisoirement la partie gauche du retable. On découvrit une première peinture représentant le fondateur de la chapelle, Edme Régnier, facilement identifiable à ses armoiries figurées au-dessus et en avant de lui. Il est représenté un petit lutrin devant lui, un livre ouvert ; derrière lui, son fils, Bonnaventure.

Figure 5 : Edme Régnier (blason : d’azur, à trois palmes d’or, les deux du chef adossées) et sa femme, Jeanne dela Ferté (blason : de sable à trois jumelles d’argent, à la bordure de même) © D.Masson

 Puis, au-dessus, on apercevait le bas de la robe d’un personnage dont toute la partie supérieure était masquée par le badigeon. On tenta donc de dégager les parties occultées. L’ange Gabriel fut mis à jour ; drapé dans un costume multicolore, il tient un sceptre à la main ; devant lui, un phylactère portant les premiers mots de la salutation angélique. Devant ces résultats encourageants, la partie droite du retable fut enlevée à son tour. Le lessivage fit alors apparaître la Vierge ; elle est debout derrière une sellette sur laquelle repose un livre ouvert ; en avant d’elle, une énorme gerbe de lis dans un vase. Dominant l’Annonciation, Dieu le Père dirige sur la Vierge un faisceau de rayons. L’expression de l’ange est pleine de majesté et de déférence à la fois. Celle de la Vierge d’une remarquable douceur et pureté. Au-dessous de la Vierge, faisant vis-à-vis à Edme Régnier, Jeanne de la Ferté, son épouse, au-dessus et en avant d’elle, l’écusson à ses armes ; derrière elle, sa fille.

Figure 6 : le retable peint (©D.Masson)

Enfin, directement au-dessus de l’autel, une autre scène : le Christ en croix ; à sa gauche, la Vierge, puis deux personnages : le premier tient un pichet dont il semble verser le contenu dans un hanap que tient le second. A droite de la croix, saint Jean, puis un martyr nu, percé de flèches et attaché à un arbre : saint Sébastien, dira-t-on ? Nous en doutons : il est bien plus vraisemblable que le fondateur de la chapelle ait tenu à faire représenter saint Edme, son saint patron, qui avait subi un martyre identique. Le dernier personnage à droite est sainte Barbe. Cette dernière scène est malheureusement moins bien conservée que les précédentes.

Figure 7 : saint Nicolas et les croix de consécration (©D.Masson)

On voit encore sur les murs douze marques de consécration réparties sur tout le pourtour. Notons dans le chœur, du côté de l’épître, une petite crédence ou piscine du quinzième siècle, en forme de niche. Mentionnons encore un bénitier, qui est à l’entrée ; il semble que l’on ait utilisé pour le faire une petite colonne d’une époque très antérieure au quinzième siècle.  Dans un reliquaire, on conserve un fragment des reliques de saint Renobert. Deux vieilles statues en bois du quinzième siècle représentent, l’une saint Renobert, l’autre saint Gond…

Figure 8 : saint Renobert (©D.Masson)

Outre Mme la vicomtesse de Chazelle, plusieurs des anciens seigneurs sont inhumés dans la chapelle. Ce sont : Marie le Compasseur, mère de Jean Fleutelot, morte le 4 septembre 1668 ; Jean Fleutelot, 1672 ; Jeanne Clopin, épouse du précédent, 1704 ; Claudine Fleutelot, 2 décembre 1718 ; Jean Thibaut, 5 mai 1738 ; Guy de Chastenay, 1er floréal an IX (1801). Peut-être d’autres encore : malheureusement on ne peut déterminer l’emplacement du corps de chacun.                                       La fête de saint Renobert (24 octobre) se célébra en grande pompe jusque vers 1912 : à l’issue de la grand’messe, le prêtre procédait à la bénédiction des troupeaux que l’on faisait défiler devant lui. Il bénissait ensuite les semences qui lui étaient présentées. Hélas ! aujourd’hui, à la place des foules de jadis, seuls quelques fidèles se réunissent. Ceux-là qui ne veulent pas que les belles traditions du passé tombent dans l’oubli, mais qu’elles continuent à se perpétuer toujours vivantes de générations en générations ».

         Vicomte de Chazelle ; La Vie diocésaine, 17 août 1935

Figure 9 et 10 : la bénédiction des semences et du bétail par le père Nkama (©D.Masson)

La première mention de Romprey date de 1219, date à laquelle l’évêque de Langres, Guillaume de Joinville, notifie que Thomas de Nogent, chevalier, sa femme et son fils, ont engagé aux templiers de Bure leurs parts de dîmes sur les terres de Bure, Terrefondrée et Romprey.

Mais, bien que seigneurs de Bure, les templiers n’étaient pas les seuls détenteurs de terres à Romprey. Il existait également des seigneurs laïcs ; le premier connu semble être Barthélémy de Billy, vers 1300 ; en 1376, on trouve Jean Davon et Jaquot d’Avellanges, puis, en 1380, le même à côté de Jean de Rochefort. Au milieu du XVe siècle, c’est Guyot de la Ferté, notaire royal et coseigneur de Besançon, qui est seigneur de Monnoy et Romprey ; de son mariage avec Catherine, il aura Guillaume, conseiller du duc Charles en 1472, dont sera issue Jeanne Catherine, qui héritera de Romprey et l’amènera, par son mariage, vers 1490, à Edme Régnier. C’est lui qui aurait fait construire alors un château à Romprey, ainsi que la chapelle, en 1500, et réunit plusieurs portions de la seigneurie en 1513, car il y eut plusieurs autres seigneurs sur ces terres ; il fut lieutenant général du bailliage de la Montagne de 1505 à 1540.                  

  A la fin du XVIe siècle, par mariage, la seigneurie passa aux Fleutelot puis, à la fin du XVIIe siècle, toujours par mariage, aux Chastenay. Guy, né à Echalot le 7 septembre 1716, seigneur de Romprey, d’Echalot et de Charmoilles, racheta, le 22 frimaire an V (12 décembre 1796), pour 3800,66 livres, des bâtiments, ainsi que 8,94 ha de terres et 3,22 ha de prés, lors de la vente des biens des Hospitaliers ou ordre de Malte de Bure.

Décédé le premier floréal an IX, sans enfants, le château fut racheté par Charles-Marguerite Simon de Calvi et, par mariages, il passa aux Dupré de Boulois, puis aux Perrot de Chazelle. Henry Marie Joseph Albéric, né à Flée le 29 août 1891, élève à Saint-Cyr où il fut un ami de Charles de Gaulle, fut blessé durant la première guerre et, lors d’un séjour à l’hôpital, s’éprit de Juliette Vernerey, qu’il épousa, ce qui ne fut pas du goût de sa famille. Juliette décéda en 1933 et, en hommage à celle-ci, il composa un poème, en octobre 1933 :                                                                                                

  Ces lignes sont pour les amis de celle que je pleure                                                                 

Selon sa volonté dernière, elle repose dans cette chapelle                                                         

Qu’elle affectionnait beaucoup.                                                                    

Cet antique oratoire est à présent pour moi un très cher reliquaire                                              

Et le seul but de ma vie brisée aujourd’hui 

   Est d’en être le gardien fidèle.                                                         

Amis, lorsqu’à mon tour la mort viendra me prendre,                

 Ne me plaignez point, ne me pleurez pas                          

  Que Louise la petite cloche de la chapelle                             

 Ne sonne point alors de glas funèbre                                 

Mais au contraire son plus joyeux carillon,                 

Ma mort ne sera pour moi que la fin de l’exil,         

  Ce sera pour moi un jour de fête,                

Le dernier, le plus grand,                        

Puisque je m’en irai retrouver pour toujours    

Celle que j’aimais tant.                                                                                                                       

Sans enfants, Henry mourra le 15 décembre 1980 à Aisy-sous-Thil.

Le château passera alors à la famille Prouvost, descendants de riches marchands lainiers du Nord au XIXe siècle, et ceux-ci ont voulu continuer à perpétuer la tradition de la fête de saint Renobert, célébrée le dernier dimanche d’octobre.

 Après la messe dite dans la chapelle par le père Amédée Nkama, suivi d’un magnifique Salve Régina, les enfants de Christian et Brigitte Prouvost ont accueilli les pèlerins dans la grande salle du château.

                                                                                               Dominique Masson