Garnier II de Rochefort, évêque de Langres

Société Archéologique et Historique du Châtillonnais

Garnier II de Rochefort, évêque de Langres

par

François Poillotte

Introduction

L’austère bâtisse assise sur l’éperon rocheux qui surplombe le petit village de Rochefort dans la vallée du Brevon, a été édifiée vers 1820 à l’emplacement d’un ancien château féodal détruit par un incendie en 1730.

Cette forteresse dont l’existence est sans doute antérieure au XIIIème siècle, a été pendant plusieurs siècles le siège d’une puissante famille seigneuriale (1) qui a détenu le rare privilège d’avoir donné au diocèse de Langres pas moins de quatre évêques. Le plus célèbre d’entre eux fut sans doute Garnier, amené à se démettre de ses fonctions à la suite d’un différend survenu avec les chanoines de son chapitre cathédral.

De l’ancien château médiéval, il ne subsiste que le colombier et le rempart, au premier plan

(Ph. F. Poillotte)

Le château de construction récente, a été édifié en 1888, au sommet de la butte en face de celle où se trouvait le le château primitif. Divers éléments de ce Château sont protégés MH : façades et toitures, grand escalier intérieur avec le vestibule, la cheminée du petit et du grand salon, salle à manger avec son décor. Inscription : 5 février 1982. Ph. F. Poillotte

La vie de Garnier

Nous sommes peu renseignés sur l’ascendance de Garnier, probablement d’origine champenoise. Il a d’abord été moine à l’abbaye cistercienne de Longuay, sur le territoire de la commune d’Aubepierre-sur-Aube, dans le département actuel de la Haute Marne où il a fait son noviciat. Ce monastère fondé en 1102 n’était à l’origine qu’un « hospital », c’est-à-dire un lieu d’accueil des voyageurs et de soins des malades. Il a adopté la règle de saint Augustin en 1136. En 1149, sous l’impulsion de saint Bernard, abbé de Clairvaux, du pape Eugène III, ancien moine de Clairvaux sous le nom de Bernardo Paganelli et de Geoffroy de la Roche-Vanneau, cousin de Bernard, évêque de Langres, premier abbé de Fontenay et ancien prieur de Clairvaux, Longuay intégrera l’ordre cistercien dans la filiation de Clairvaux.

  Ancienne abbaye de Longuay avec sur la droite, le Château (XIXème s) et à sa gauche, l’ancien bâtiment formant l’aile occidentale du cloître,réservée aux convers, et connu sous le nom de « Grange aux dîmes » XIIIème s. Ph. F. Poillotte
  Le dortoir des frères convers à l’étage du bâtiment qui leur était réservé. Les voûtes en croisées d’ogives, séparées par des arcs doubleaux, reposent sur des piliers centraux et sur des culots apposés sur les murs. (XIIIème s.) Ph. F. Poillotte

Garnier deviendra prieur de Clairvaux, vers 1175, selon l’abbé Roussel (2), avant d’être élu abbé d’Auberive, en 1180. Six ans plus tard, il succédera à Pierre Le Borgne,décédé le 29 octobre 1186, comme abbé de Clairvaux. C’est au cours de l’année 1193 qu’il sera sacré évêque de Langres. Il succédera à Manassès de Bar, décédé cette année-là, à son retour de Terre Sainte.

  Dom Milley Vue de l’abbaye de Clairvaux (Extrait) Gravure de Lucas 1708 Paris Bibliothèque Nationale Estampes   L’abbaye de Clairvaux a été fondée en 1115 par un groupe de moines issus de Cîteaux
  L’abbaye d’Auberive fille de Clairvaux a été fondée en 1135 dans la vallée de l’Aube, grâce à la générosité del’évê-que de Langres, Villain d’Aigremont et des principaux seigneurs de la région. L’aile ouest du monastère a été reconstruite entre 1764 et 1777, dans le style typique du XVIIIème siècle.

Garnier de Rochefort,  quelques faits marquants de son abbatiat

Comme abbé de Clairvaux, quelques faits importants ont marqué son abbatiat.

Le cellier de Clairvaux

Le premier, et les dijonnais lui en furent certainement reconnaissants, fut sa décision de faire édifier à Dijon, le cellier de Clairvaux, après avoir recueilli l’approbation du pape Célestin III, le 6 avril 1193.

Beaucoup d’abbayes, qu’elles soient cisterciennes ou relevant d’autres ordres,possédaient dans les villes et bourgs importants, des maisons de ville dans lesquelles se réfugiaient les moines lorsque l’insécurité menaçait leurs monastères. L’abbaye, chef d’ordre, détenait une telle demeure à Dijon, le « Petit Cîteaux ». A Bar-sur-Aube, Clairvaux possédait déjà au XIIème siècle, une maison, « Le Petit-Clairvaux » dans laquelle séjournaient les moines de l’abbaye qui étaient de passage. On connaît à Châtillon, « Le Petit-Lugny », maison de ville de la Chartreuse de Lugny (Cours Massol – Rue du Bourg-à-Mont).

La finalité de la création d’une maison à Dijon, par l’abbaye de Clairvaux apparait quelque peu différente. L’abbaye possédait déjà dès 1190, un ensemble immobilier bâti d’une certaine surface, à l’intérieur duquel fut édifié au début du XIIIème siècle, ce grand bâtiment qui nous est demeuré, appelé à tort «cellier», compte tenu de sa destination initiale.

Sa construction avait en effet pour vocation première d’héberger les abbés des différentes abbayes dépendant de la filiation de Clairvaux, qui se rendaient chaque année,  à lami-septembre, à l’abbaye mère de Cîteaux, pouf assister au chapitre général de l’ordre. (3)

Cîteaux n’était guère en mesure d’accueillir et nourrir les abbés provenant des quelques 600 abbayes que comptait l’ordre au début du XIIIème siècle, même si certains d’entre eux se trouvaient dispensés d’assister au chapitre général du fait de l’éloignement de leur maison. L’accueil de toute cette population qui comprenait également les accompagnants de chaque abbé, qu’un statut avait limité à une personne, représentait une charge considérable pour l’abbaye mêre. Certes, Cîteaux bénéficiait pour chaque chapitre général d’une aide matérielle provenant de libéralités consenties par les divers souverains d’Europe, comme celui d’Angleterre ou par les seigneurs locaux, mais la capacité d’accueil des lieux était manifestement insuffisante.

Les abbayes de la filiation de Clairvaux, au nombre de près de 300 à la fin du XIIème siècle, furent sollicitées pour participer au financement des travaux d’édification du cellier, en raison des commodités que celui-ci leur offrait. Certaines protestèrent et saisirent le chapitre général qui adressa un blâme à l’abbé de Clairvaux, qui continua cependant à percevoir la participation de ses filles. Pour faire face aux frais de séjour des abbés dans sa maison de Dijon, l’abbaye de Clairvaux, bénéficia, elle aussi, de l’aide des princes. Ainsi, en 1190,  Hugues III, duc de Bourgogne, à l’occasion de son départ pour la Terre Sainte, ordonna de fournir chaque année dix septiers de froment à prendre à Rouvres-en-Plaine et dix muids de vin provenant des vignes ducales de Pommard, à prendre à Beaune, donc sur le principal grenier et le principal cellier des ducs de Bourgogne.

Quelques convers (4) de Clairvaux résidaient en permanence au cellier et étaient chargés de gérer la maison.

Le rez-de-chaussée du cellier aurait-il servi plus tard à y entreposer les tonneaux de vinprovenant des vignes issues de donations dont l’abbaye a bénéficié ou d’achats réalisés par elle, sur Fontaine, Talant ou ailleurs ?De façon plus certaine, ce stockage se serait réalisé, dans un autre bâtiment édifié à proximité immédiate du précédent, peu de temps après, dès que le domaine viticole fut constitué. De ce bâtiment qui fut, lui, un véritable cellier, il ne reste rien actuellement, sa démolition ayant été entreprise, il y a plus d’un siècle.

Le cellier de Clairvaux est le seul témoignage médiéval qui nous reste aujourd’hui de l’ensembleconstituant«le Petit-Clairvaux », dont la plus grande partie est occupée actuellement par la Préfecture, le conseil départemental de la Côte-d’Or et l’hôtel de la région Bourgogne-Franche-Comté

  Le cellier de Clairvaux, propriété aujourd’hui de la ville de Dijon, a été classé monument historique en 1915. Édifié au début du XIIIème siècle il représente un exemple type du gothique primitif cistercien. Photo ci-contre : façade orientale du cellier avec ses arcades qui servent de contreforts. Cliché : F. Poillotte
Le cellier se compose aujourd’hui, sur deux niveaux, de deux nefs sur sept travées, après amputation à la fin du XVIIIème siècle. de deux travées en vue de l’aménagement de rues. Les voûtes sont à croisées d’ogives et arcs doubleaux reposant sur des piliers centraux et contre les murs sur des culots. Ph. F. Poillotte
      La disposition du niveau supérieur du bâtiment est identique à celle du rez-de-chaussée. Les chapiteaux de l’étage sont ornés simplement de feuilles d’eau, caractéristiques de l’architecture cistercienne. Ph. F. Poillotte.

            Un blâme pour Vaucelles

            La construction de l’abbatiale de l’abbaye de Vaucelles (département actuel du Nord) sera à l’origine de quelques soucis pour Garnier,

            Située dans la vallée de l’Escault à 13 kilomètres environ au sud-ouest de Cambrai, l’abbaye cistercienne de Vaucelles, fille de Clairvaux, a été fondée en 1132. Nivard, le plus jeune des frères de saint Bernard, fit partie du groupe de moines venus de Clairvaux pour la fondation de cette abbaye dont il en deviendra aussitôt maître des novices. Il la quittera rapidement, en 1135 pour aller à Buzay, près de Nantes, où il contribuera à la création d’une nouvelle maison.

            Des bâtiments composant le monastère, ne demeurent aujourd’hui que l’aile des moines et le palais abbatial.

            L’église abbatiale s’est substituée à un premierédifice roman à chevet plat caractéristique de l’architecture cistercienne. Son édification a été décidée et entreprise en 1190, au temps de l’abbé Godescale. Avec ses 134 mètres de longueur et 60 mètres de largeur au transept, ses dimensions, hors du commun, en faisaient la plus vaste église de l’ordre cistercien. Elle surpassait par sa taille la plupart des cathédrales de France.

            Le chapitre général de 1192, destitua l’abbé de Vaucelles pour avoir décidé ces travaux trop grandioses, contraires aux principes de simplicité et de pauvretéédictés par les statuts de l’ordre. Quant à Garnier, en tant que père immédiat (5), il sera sanctionné d’un blâme pour ne pas s’être opposé à cette réalisation lors de la visite canonique qu’il devait effectuer chaque année. La décision du chapitre général n’empêchera pas les successeurs de l’abbé Godescale de poursuivre les travauxLa dédicace de l’église eut lieu, le 19 octobre 1235, par l’archevêque de Reims, Henri de Dreux.

            Il ne reste rien aujourd’hui de cette abbatiale. L’emplacement du chœur a été matérialisée au sol par une plantation de buis.

La salle des moines ou scriptorium (3ème quart du XIIèmesiècle), comporte trois nefs de six travées voûtées d’ogives réposant sur deux rangées de cinq colonnes cylindriques. Cette immense salle de plus de 600 mètres carrés pouvait accueillir plusieurs centaines de personnes. Ph. F. Poillotte

L’appel de Richard-Cœur-de-Lion

En tant qu’abbé de Clairvaux et comme successeur de saint Bernard, Garnier restera un interlocuteur privilégié des princes de l’époque, bénéficiant auprès d’eux de la renommée, encore très vivace, de la grande abbaye champenoise. En témoigne cette lettre adressée à Garnier, depuis Jaffa en Terre Sainte, le 1er Octobre 1191, par le roi d’Angleterre, Richard Cœur-de-Lion. Le souverain l’informe de la victoire qu’il vient de remporter le 7 septembre 1191 sur Saladin, victoire à laquelle Garnier aurait indirectement contribué par ses diverses prédications de la troisième croisade de 1189. Le roi d’Angleterre qui appelle Garnier dans cette lettre son « cher ami en Jésus-Christ » y déclare qu’il ne peut rester lui-même en Syrie jusqu’à Pâques 1192, et que le duc de Bourgogne (6), le comte de Champagne (7) et les autres croisés n’y pourront subsister s’ils ne sont secourus. Il précise : « je prie donc à genoux votre sainteté d’exhorter tous les princes, les nobles, les peuples, à venir après Pâques défendre l’héritage du Seigneur, ainsi que vous nous y avez excités vous-même. »

Garnier, un prélat trop généreux

La prodigalité dont aurait fait preuve Garnier et qui fut l’objet des reproches des chanoines de son chapitre cathédral, lorsqu’il fut évêque de Langres de 1193 à 1199, fut à l’origine de la résignation de ses fonctions.

Parmi les nombreux bienfaits qu’il consentit, on relève cette donation qu’il fit en 1195 au prieuré du Val-des-Choux qui venait d’être fondé, d’un muid de blé à prendre sur les terres de Châtillon et six muids de vin sur les dîmes de Mussy.

En 1197, c’est une donation faite aux frères d’Auberive des tierces et dimes, rentes et coutumes, et de toutes les possessions et terres que Garnier avait sur le finage de sa châtellenie de Gurgy-le-Château et sur celui de Buxerolles. Cette libéralité a été rédigée sur parchemin, non signé, mais marqué sur le repli du sceau de Garnier.

Garnier de Rochefort – Abbaye de Cîteaux – Saint-Nicolas-les-Cîteaux

Paris – Bibliothèque Nationale – Estampes

    Charte de 1196 (Ph. Ci-contre) munie du sceau (cliché ci-dessous) de Garnier II de Rochefort évêque de Langres concernant divers dons notamment concernant la grange de Villiers-les-Convers. (Ormoy-sur-Aube – Haute Marne). (Archives départementales de la Haute- Marne)
      Souvent, sans qu’il en soit l’auteur, la donation était passée devant l’évêque qui en délivrait la charte. En 1194, Constant, fils de Jean de Saint Michel, fit donation devant Garnier, évêque de Langres, aux religieux d’Auberive, d’une maison située à Dijon, derrière le monastère de Saint-Michel, et d’une place contigüe à ladite maison, avec cinq journaux de terres et prés à Ruffey et la moitié d’un journal des vignes dans le finage de Mirande, et de tout ce qu’il avait par droit d’hérédité.        Par le même acte, Jean, novice d’Auberive a donné à ladite abbaye, une vigne à Dijon. (Acte écrit en latin sur parchemin, non signé, mais revêtu du sceau de Garnier sur le repli de la charte).

Garnier de Rochefort, son œuvre littéraire

            Garnier, contrairement à saint Bernard, son illustre prédécesseur à Clairvaux, ne fut pas  un grand épistolier. On lui doit toutefois, quarante sermons datant de ses années d’abbatiat à Clairvaux et peut-être même à Auberive, consacrés pour l’essentiel d’entre eux, au temps liturgique. La critique a été particulièrement sévère à leur égard, cette oeuvre manquant, selon  elle, de charme.

            Aurait-il participé à l’élaboration du Grand Exorde de Cîteaux, dont la rédaction a été entreprise par Conrad d’Eberbach? L’auteur de l’Exordium magnum cisterciense(8) a été moine de Clairvaux entre 1169 (au plus tard) et le début du XIIIème siècle. Vers 1206 il intégra l’abbaye cistercienne d’Eberbach en Allemagne dont il devint l’abbé en 1221. Les livres 1 à 4 de cette œuvre qui en comporte six et qui se rapporte à l’histoire des débuts de Cîteaux, ont été écrits par Conrad alors qu’il était encore à Clairvaux, au temps de l’abbatiat de Garnier. Si Garnier n’a pas participé directement ou indirectement à la rédaction du Grand Éxorde, il n’a pu l’ignorer et l’a certainement encouragé en tant que père spirituel de Conrad.

La démission de Garnier de Rochefort

            Le chapitre compter. Garnier l’apprit à ses dépens.

            Dès le Haut Moyen Âge, les évêques se sont entourés de clercs chargés de les accompagner dans leur mission en les conseillant et en se déchargeant sur eux de certaines tâches. Les chanoines de Langres étaient constitués en chapitre dont saint Mammès deviendra le patron.

Dans la plupart des évêchés, une part des biens était affectée au chapitre cathédral.  Elle était divisée entre ses membres qui recevaient, chacun, une portion en biens propres. Cette dotation individuelle représentait ce qu’onappelait une prébende.

Dès la fin du XIIème siècle, le chapitre de Langres comportait 48 chanoines et leur nombre demeurera identique jusqu’au milieu du XVème s. Il comportait 9 dignitaires, qui étaient, par ordre d’importance : 1) Le doyen, 2) le trésorier, 3) le grand archidiacre ou archidiacre de Langres, 4) l’archidiacre du Dijonnais, 5) L’archidiacre du Tonnerrois, 6) L’archidiacre du Lassois, 7) L’archidiacre du Barrois, 8) L’archidiacre du Bassigny, 9) Et le chantre.

La vie commune à laquelle les chanoines étaient initialement astreints fut peu à peu abandonnée au cours des Xème et XIème siècles. Les désordres engendrés par cet abandon, favorisés par la jouissance d’un patrimoine privatif, amèneront l’Église a réagir. Les conciles de Rome de 1019 et de 1059 prescriront un retour à la vie commune. Cette prescription sera reprise par la réforme grégorienne du nom de l’un de ses principaux artisans, le pape Grégoire VII (1073-1085). Cette réforme s’appliqua à Langres, comme partout ailleurs, et la vie commune y sera restaurée au plus tardau début du XIIème siècle. Mais ce retour à la vie commune sera de courte durée, puisque dès le milieu du XIIème siècle, l’existence à Langres, de maisons canoniales particulières est signalée.

Certaines tensions sont apparues très tôt entre le chapitre et Garnier. Une lettre du pape Célestin III, invitant les chanoines de Langres à reprendre la vie commune, fut peut-être à l’origine d’une certaine méfiance de leur part à l’égard de leur évêque, bien que ce dernier ne semble pas être à l’origine de la démarche entreprise par le souverain pontife.

Mais, ce qui fut surtout reproché à Garnier, c’était la dilapidation des biens de son Église, conséquence de sa trop grande générosité. Cette situation amena les chanoines à saisir le métropolitain, à savoir l’archevêque de Lyon. Derrière le motif invoqué et en grande partie justifié, transparaissait, semble-t-il, une raison, moins avouable, les ambitions du doyen du Chapitre, Hilduin de Vendeuvre, qui aurait eu des visées sur le siège épiscopal de Langres.

            Garnier interjeta appel devant le pape Innocent III. Invité à s’expliquer devant le souverain pontife en présence des représentants du chapitre, le jour de la Saint-Michel (29 septembre 1198), il ne répondit pas à la convocation du pape, invoquant le prétexte d’un voyage en Terre Sainte, décidé à l’occasion de la tenue du chapitre général à Cîteaux, auquel il aurait, par ailleurs, assisté.

            Innocent III ne paraît pas avoir été convaincu par les arguments avancés par Garnier. Par lettre du 30 décembre 1198, Garnier était invité par le pape à résigner sa charge, et en attendant sa décision, était suspendu tant au spirituel qu’au temporel.

            Finalement, Garnier démissionna au cours de l’année 1199 et se retira à Clairvaux

            Le pape lui accorda une rente viagère représentée par quelques terres mises à sa disposition pour assurer son entretien, mais avec interdiction de les aliéner ou de les inféoder, à peine de nullité de tout acte fait au mépris de cette interdiction.

            Hilduin de Vendoeuvre, le doyen, chef de file des chanoines contestataires, succédera à Garnier sur le siège épiscopal de Langres. C’est, semble-t-il, avec une certaine réticence qu’Innocent III ratifia l’élection du nouvel évêque, en raison sans doute des ambitions et du comportement d’Hilduin. Cette ratification n’intervint en effet qu’un certain temps après le départ de Garnier. Durant la période transitoire, le temporel de l’Église de Langres sera administré par l’évêque d’Auxerre, Hugues de Noyers.

            Garnier est décédé à Clairvaux et son épitaphe ne nous renseigne pas sur l’année de son décès : « Hit jacet dominus, Garnerius, primo Albae Ripae, deinde hujus monasterii nonus abbas postea lingoninsis episcopus. ». Fixée initialement vers 1200-1201, elle fut reculée à plusieurs reprises en raison de la présence de Garnier dans diverses chartes postérieures (1216, 1218, 1222). La souscription d’une charte par notre prélat en février 1226, nous conduit à retarder son décès et à le fixer désormais postérieurement à 1225. Cette dernière indication dans une chronologie encore incertaine, amènera l’historien Jean-Charles Didier, à rappeler que Garnier aura vu passer sur le siège épiscopal de Langres, pas moins de quatre de ses successeurs (Hilduin de Vandoeuvre † 1203, Robert II de Châtillon † 1209, Guillaume de Joinville 1219 †et Hugues de Montréal† 1232) .

Arbre généalogique de la famille seigneuriale de Rochefort-sur-Brevon (essai)

Les successeurs de Garnier, sur le siège épiscopal de Langres,

issus de la famille de Rochefort,

Parmi les successeurs de Garnier sur le siège épiscopal de Langres, trois d’entre eux, sont issus de la famille de Rochefort et témoignent de l’importance qu’eut cette famille seigneuriale au cours du Moyen Âge.

Guy de Rochefort : Comme beaucoup de ses prédécesseurs, il fut d’abord archidiacre de Langres (9). Il était le fils des Simon II de Rochefort encore appelé Simon II de Bricon, et arrière-petit-neveu, au cinquième degré, semble-t-il, de Garnier. Il a succédé en 1250 à Hugues de Rochecorbon sur le siège épiscopal de Langres.

C’est lui qui consacrera le 7 septembre 1253, à la requête de l’abbé Conon, l’abbatiale de Morimond, dédiée comme toutes celles des abbayes de l’ordre de Cîteaux, à la sainte Vierge.

          De passage à Château-Thierry, il reçut l’hommage de Marguerite de Bourbon, comtesse de Champagne, et du jeune roi, son fils, pour plusieurs terres, notamment celles de Vicq et de Coiffy. Marguerite souhaitant faire fortifier ces deux places, Jean de Choiseul s’y opposa mais l’évêque Guy lèvera ces empêchements. En 1256, le prélat s’est transporté à Clamecy pour recevoir l’hommage de Mahaud comtesse de Tonnerre, impotente, qui reconnut que l’évêque avait bien voulu recevoir cet hommage hors de ses terres. Photo ci-contre : armes de Guy de Rochefort, évêque de Langres
        En 1251, il délivra des lettes de non-préjudice à Thibaut, comte de Champagne, qui, lui devant hommage en  marche (10), lui fit hommage à Lyon. Un mois plus tard, Thibaut, de son coté, adressa des lettres semblables à Guy, pour cet hommage reçu,non en marche, comme il le devait.         Guy de Rochefort est décédé en 1266. Il sera inhumé derrière le grand autel de la cathédrale Saint-Mammés de Langres. Sa sépulture sera surmontée d’une table de bronze, avec sa statue également en bronze. Ce travail est l’œuvre d’un artiste venu de Cologne.   Photo ci-contre : Grand sceau de Guy de Rochefort.

            Jean de Rochefort : Frère du précédent, il aurait été élu en tant qu’évêque de Langres dès 1294, sans avoir été sacré. Il prit possession de son évêché en 1296 en prêtant le serment habituel. Il a succédé à Gui de Genève sur le siège épiscopal de Langres.

            Parmi les actes le concernant, on peut citer, au début de son exercice, cette reconnaissance faite en mai 1295, par Guy de Pontailler, écuyer, seigneur de Talmay, et sa femme Agnès dite de Saulx, damoiselle, de la somme de soixante livres, qui lui était due.

            Le 11 mai 1296 il pria Robert, duc de Bourgogne, de recevoir de son neveu, Robert, fils de Gaucher de Rochefort, sire du Puiset, l’hommage qu’il devait pour les domaines relevant du duché.

            « A très haut et poissant prince son amé compère monseignor R. duc de Bourgogne, Jehanz, par la grâce de Dieu évêque de Langres, salut, ensemble toute honor. Nos vos prions et requerons que vous reprenez en foy et en homaige Robert, notre neveu, fils monseigneur Gaucher, seignor dou Puisat, près de Rochefort, et vicomte de Chartes, à Essarois et à Beaulieu, et de tous es fiez et riérefiez movans de ces lieux, et de totes les appartenances des villes dessus dites, de celes tant solement dont nos somes en votre fié, fors que ce que nous avons à Moncon ( ?) et ou finage, laquele chose nous retenons et avons retenu à nous, et ensi comme nos les vos avons requis de boiche ; nos le vos requerons par la tenor de cette letre, ou tesmoignage de laquele chos, nos avons ces lettres sceléesde notre séel, qui furent faittes l’an de grâce mil douz cenz quatre vinz seze, le samedy devant Pentevoste. »

Enfin, on peut noter cet hommage de 1304 par Éléonore de Savoie, suite au décès de son mari, Guillaume de Chalons, comte de Tonnerre, tué à la bataille de Mons-en-Puelle. Cet hommage a été rendu par Éléonore, au nom et en qualité de tutrice de ses enfants mineurs, à l’évêque Jean de Rochefort, dans la chapelle du château de Châtillon-sur-Seine, en présence d’un grand nombre de personnages importants.

            Jean de Rochefort, décédé en 1305, a été inhumé, lui aussi, derrière le grand autel de la cathédrale Saint-Mammès de Langres, sous une tombe de bronze.

            Pierre de Rochefort : neveu des précédents, il a succédé en 1325, à Louis de Poitiers, son prédécesseur, sur le siège épiscopal de Langres, qui était en conflit avec les chanoines de son chapitre. Pierre de Rochefort fut d’abord grand archidiacre (archidiacre de Langres), avant son élection comme évêque. Cette élection au diocèse de Langres aurait eu lieu à la recommandation du roi.

            Précisons que Pierre de Rochefort avait été admis comme chanoine au chapitre de Langres, en 1289, à l’âge de 20 ans, en contravention du droit canonique, en vertu duquel l’âge requis pour l’obtention d’un canonicat était de 22 ans.

            Cet évêque, que certains ont qualifié de vertueux, ne resta pas longtemps sur le siège épiscopal de Langres. Décédé en 1327 ?(ou 1329), il fut inhumé, lui aussi, dans la cathédrale Saint-Mammès de Langres, sous une tombe de pierre sur laquelle on voyait sa statue couchée.

________________

Notes

(1)   En 1301, Robert, seigneur de Rochefort, déclara tenir en fief du duc de Bourgogne, la châtellenie de Rochefort, à l’exception de la forteresse du château et quarante pieds à l’entour que Robert tenait de Jean de Durnay, écuyer, qui le tenait lui-même du duc de Bourgogne. Robert déclara, en outre, tenir en fief le Puiset, (actuellement hameau de Rochefort), moitié de Beaulieu, le village d’Essarois, celui de Montmoyen, le droit que les seigneurs de Montmoyen avaient dans la forêt de Chatoillenot et dans le village de Voulaines, les usages à Grandbois, Hierce, Saint-Bénigne, Moitron.

            En 1310,  Jean de Durnay  vendit au duc de Bourgogne, le fief du château de Rochefort, que Robert tenait du duc. Antoine de Gellan en 1598, le légua à Louise de Mauléon épouse de Joachim de  Chastenay. Les Chastenay en furent maîtres jusqu’en 1721. Il fut cèdé à François de Lieutain, qui le revendit presqu’aussitôt à Emiland Chartraire de Romilly, en 1724.

            (2) Auteur de l’Histoire du diocèse de Langres.

            (3) Cette institution mise en place dès les débuts de l’ordre, était une sorte de gouvernement, où se traitaient les décisions concernant les domaines spirituels, matériels, judiciaires et politiques de l’ordre, par tous les abbés réunis en septembre de chaque année, dans la salle du définitoire. Les définiteurs assuraient le secrétariat du chapitre général qui durait plusieurs jours.

            (4) Les convers étaient des religieux qui n’étaient pas moines. Ils n’avaient pas l’obligation d’assister aux sept offices quotidiens auxquels étaient astreints les moines de chœur. Recrutés parmi les couches les plus pauvres de la population, ils étaient affectés aux travaux, le plus souvent agricoles, dans les granges. Leur présence, en grand nombre dans l’ordre cistercien, sera à l’origine du succès économique de Cîteaux. Leur raréfaction à partir de la seconde moitié du XIIIème siècle, à partir de laquelle ils rejoindront plutôt les ordres mendiants, sera à l’origine du déclin économique de Cîteaux.

         (5)Le père abbé de la maison fondatrice d’une abbaye est appelé père immédiat de sa fille. Exemple : l’abbé de Clairvaux était le père immédiat de celui de Fontenay.

         (6) Hugues III, duc de Bourgogne, fils du duc Eudes II, à qui il succéda en 1162, décédé à Tyr, le 25 août 1192

         (7) Henri II de Champagne comte de Champagne de 1181 à 1197,roi de Jérusalem de 1192 à 1197, fils d’Henri 1er le libéral et petit-fils de Thibaut II de Champagne (Thibaut le Grand ou Thibaut IV de Blois).

         (8) L’histoire des débuts de Cîteaux a été rapportée dans deux autres exordes, plus anciens. Le Petit Éxorde ou Exordium parvum est un récit plus court aux données plus fiables, écrit au tout début du XIIème siècle. L’Éxorde de Cîteaux ou Exordium Cistercii dressé un peu plus tard, vers 1134 à Clairvaux, du temps de saint-Bernard.

         (9) Le titulaire de cette dignité importante, était très souvent appelé à occuper par la suite la charge épiscopale de Langres.

         (10) Hommage en marche. L’hommage était un rituel par lequel un homme libre devenait vassal d’un seigneur. La formalité consistait pour le futur vassal à mettre ses mains jointes dans celles de celui qui deviendra son seigneur. L’hommage était immédiatement suivi du serment de fidélité. Pour faire hommage au seigneur, le vassal devait se rendre devant lui, à son domicile ordinaire. Ce déplacement pouvait être contraignant et couteux pour le vassal, lorsque ce domicile du seigneur était très éloigné du sien. Il y avait au Moyen Âge des exceptions à cette règle. Quand les deux seigneuries, celle du vassal et celle du seigneur étaient contigües, il arrivait que l’hommage fut rendu à leur frontière commune. On disait alors que l’hommage était rendu en marche. Ce type d’hommage était surtout pratiqué entre seigneurs importants. Nous gardons en mémoire, cet hommage en marche rendu en 1147, à Augustines (Près de Mussy-sur-Seine), à la limite commune du duché et du comté, par Thibaut II, comte de Champagne à Eudes II, duc de Bourgogne, pour les fiefs qu’il tenait de lui. (Voir ADCO, notice : B 10423, f° 67, ro.)

_________________

Références bibliographiques

Didier 1955 :  DIDIER (J.C).Garnier de Rochefort, sa vie, son œuvre – état des questions – 

Collectanea ordinis cisterciensium  reformata, t 17, pp 145-158 – 1955.

Hoste : HOSTE Anselme.Garnier de Rochefort (ou de Langres) , vie et œuvre, Dictionnaire

de spiritualité, ascétique et mystique – Doctrine et histoire. Extrait du tome 6,

col. 125.

Mathieu 1844 :MATHIEU Jean Baptiste Joseph.Abrégé chronologique de l’histoire des

 évêques de Langres – Laurent fils et cie, imprimeurs de l’évêché. 1844.

Wilsdorf-Collin 1986 :WILSDORF-COLLIN (O).Aux confins du royaume de France,

l’évêché de Langres dans la sauvegarde royale, (1179-1350). Cahiers Haut-

marnais n° 167, pp 55-76. 1986.

Roussel 1875 : ROUSSEL (Abbé).Le diocèse de Langres, histoire et statistique, 1875.

Belotte 1965 : BELOTTE (M).Les possessions des évêques de Langres, dans la région de

 Mussy-sur-Seine et de Châtillon-sur-Seine du milieu du XIIème  au milieu du

XIVème siècle. Annales d Bourgogne, tome XXXVII, année 1965.

Legrand : LEGRAND (M).Le chapitre cathédral de Langres de la fin du XIIème siècle au

concordat de 1516, Revue d’Histoire de l’Église de France

Poillotte : POILLOTTE (F).Longuay, une abbaye au cœur de la Montagne Châtillonnaise,

Société Archéologique et Historique du Châtillonnais.

Collectif2014.Histoire de Clairvaux. Actes du colloque Juin 1990, Association Renaissance

de l’Abbaye de Clairvaux, réédition 2014.

Collectif : L’Abbaye d’Auberive (Haute Marne) Itinéraire du patrimoine.

Chauvin, Nicolas 2014 :CHAUVIN (B) et NICOLAS(C).Dijon, du nouveau sur le cellier

de Clairvaux (1190-1230), Mémoires de la commission des antiquités du

département de la Côte-d’or, t. 41., Académie des sciences, arts et belles-lettres

deDijon. 2014.

Roblin 1998 :ROBLIN (S).L’architecture médiévale du cellier de Clairvaux de Dijon.

 Annales de Bourgogne 1998, n° 70, pp 227-252.

Richard 1990 : RICHARD (J).La maison de Clairvaux et le domaine de l’abbaye à Dijon.

Histoire de Clairvaux. Actes du colloque – Juin 1990. Association Renaissance

de l’abbaye de Clairvaux.

Vignier  1982-1983 :VIGNIER (F). De l’enclos de Clairvaux à l’immeuble régional.

Mémoires de la commission des antiquités du département de la Côte-d’or.

1982-1983.