LE VAL-DES-CHOUX
UN PRIEURE CHEF D’ORDRE
Fondé à la fin du XIIème siècle à partir d’une constitution originale, le prieuré du Val des Choux va connaitre un essor rapide qui va le placer à la tête d’un ordre prospère qui va essaimer jusqu’aux confins de l’Ecosse.
Comme bien d’autres monastères, il va connaître au fil des siècles le déclin et la décadence. Il n’était plus, au début du XVIIIème siècle, que l’ombre de lui-même. Relâchement dans le respect des observances, effectifs réduits à quelques individus, bâtiments conventuels en ruines, gestion désastreuse du temporel vont conduire l’ordre au bord de la ruine. Sa suppression et son rattachement en 1764 à l’abbaye cistercienne de Septfons et l’introduction de la réforme mise en place par cette dernière, vont redonner vie au prieuré devenu simple dépendance. Cette relative prospérité va être brutalement interrompue par la Révolution. Après la suppression des ordres religieux, les biens du prieuré comme tous les biens ecclésiastiques seront mis à la disposition de la Nation et aussitôt aliénés comme biens nationaux.
Mais avant de nous pencher sur cette période mouvementée, faisons un bref rappel sur les origines et l’histoire du Val des Choux.
Val des Choux ou Val des Choues
Une interrogation surgit d’emblée. D’où provient un nom si peu habituel pour un établissement monastique ?Nous sommes plus habitués à une appellation faisant référence à la toponymie ou, à défaut, à une terminologie plus en phase avec la religion.
S’agit-il du « Val-des-choux » par référence au légume ou du « Val-des-choues » en relation avec lesrapaces nocturnes.
La question n’a jamais cessé d’agiter les historiens et n’a pas reçu à ce jour de réponse définitive. Sans trop nous attarder sur le débat à ce sujet, on peut citer le Journal de Châtillon du 22 mars 1888 qui nous livre la version qui aurait été celle de Victorine de Chastenay qui vivait au château voisin d’Essarois au début du XIXème siècle. Pour elle, le nom résultait de la présence des oiseaux de nuit qui nichaient dans les rochers qui surplombaient l’abbaye. Le romantisme de la célèbre châtillonnaise l’a emporté sur la vérité historique.
Il semblerait que la référence au légume soit plus conforme à la tradition. Les chartes détenues aux archives départementales tant de Moulins que de Dijon, font état du « Valliscaulium » C’est particulièrement le cas dans la bulle de confirmation du pape Innocent III du 11 février 1205. Près de dix ans auparavant, « Vallisdezchoz » apparaissait en 1196. « Caulis » ne serait que la latinisation de Cho (Chou). N’oublions pas que les choux, qui étaient cultivés dans l’enclos, constituaient certainement une part importante de l’alimentation des moines du Val dont le régime alimentaire ne comportait pas de viandes. Dans les actes plus tardifs et plus particulièrement dans ceux du XVIIIè siècle, antérieurs au rattachement à Sept Fons,le prieuré est orthographié Val des Choux et non Val des Choues.
Fondation du prieuré
Aux incertitudes liées aux origines du nom s’ajoutent celles relatives à l’année de fondation.
Il y a encore hésitation entre 1188 et 1193-1195, même si ces deux derniers millésimes semblent aujourd’hui l’emporter.
Selon certains, c’est en 1188 qu’aurait pris naissance le monastère. Manassès de Bar, évêque de Langres aurait, selon le père Vignier, approuvé à cette date, la fondation du Val des Choux. Voici ce qu’a écrit le savant religieux :«En 1188, frère Wiart, homme d’une piété exemplaire, jeta dans la solitude du Val-des-Choux, les fondements d’un nouveau prieuré qui devint chef d’ordre. »
Cette année de fondation est celle également retenue par les grands prieurs. Le tome I de leur temporel contient un état de l’ordre du Val des Choux qu’il déclare institué« en l’an onze cent quatre vingt huit sur des constitutions particulières et ensuite sur la règle de saint Benoit ».
Selon d’autres, la fondation serait plus tardive et se situerait entre 1193 et 1195. Aux termes d’une communication sur « le Monastère du Val des Choux au premier siècle de son histoire ».Robert Foltz est assez catégorique. Selon lui, il ne peut y avoir de doute sur le fondateur du monastère. Une notice nécrologique du Val le désigne expressément : « 3 juillet : commémoration d’Eudes, duc de Bourgogne, de bonne mémoire, fondateur du Val des Choux. ».
Il s’agit d’Eudes III qui a succédé à son père, Hugues III en 1193. La fondation ne pourrait donc être antérieure à cette année. Elle ne pourrait non plus être postérieure à 1195, année au cours de laquelle Garnier II de Rochefort a fait au couvent une donation, la première dont nous ayons conservé la trace.
Malgré tout, bien des incertitudes demeurent sur l’année de fondation. Le témoignage du Père Vignier ne s’appuie sur l’existence d’aucune charte de Manassès qui aurait pu être portée à notre connaissance. Quant à la notice dont fait état Robert Foltz, il ne nous en signale pas l’origine.
Ni l’un ni l’autre ne nous renseigne sur la provenance des biens qui constituent l’assiette même du monastère ni sur la date de leur transmission au profit de l’institution nouvelle. Les sources sont muettes à leur sujet. C’est pourtant bien là que se trouve l’acte fondateur du Val-des-Choux.
Une chose semble cependant certaine, les terrains sur lesquels ont été bâtis les lieux réguliers dépendaient de la Haute forêt de Villiers le Duc qui appartenait à l’origine en totalité au Duc de Bourgogne. C’est donc manifestement de lui que proviennent ces biens. Mais à quelle date ont-ils été donnés au Val et par quel duc?
Ce fond de vallon sauvage propice à la vie contemplative ne bénéficiera pas, on le sait, des faveurs des historiens. « Affreuse solitude » nous diront en 1707 les deux bénédictins dans le « Voyage littéraire de deux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur ». Selon la tradition il aurait été occupé dès la fin du premier millénaire par un groupe d’ermites dont les successeurs étaient encore présents en cette fin du XIIème siècle.
A peu de distance de là était née en 1172 dans la vallée de l’Ource, la Chartreuse de Lugny, fondée par Gauthier de Bourgogne, évêque de Langres, oncle du duc de Bourgogne Hugues III.
L’un des adeptes de saint Bruno qui vivait dans cette maison dans le dernier quart du XIIème siècle, vint, sans doute avec la permission de son prieur, se mettre à la tête de ces ermites afin de les initier à la vie régulière.
Ce religieux du nom de Gui ou de Viard était-il moine comme le prétendent les uns, ou convers comme nous le disent quelques autres ?
Nous ne savons rien sur ce personnage antérieurement à la fondation du Val des Choux mais il est très peu probable qu’il s’agisse d’un convers. On imagine mal à cette époque, les chartreux comme les cisterciens, placer à la tête d’un prieuré ou d’une abbaye, un religieux de ce type.
Le processus qui va conduire à la fondation du Val des Choux apparait assez classique. Des groupes d’ermites ont souvent donné naissance à des communautés monastiques quel que soit l’ordre auquel elles ont appartenu. L’exemple le plus célèbre, proche de nous, est manifestement celui de Molesme. C’est sur le coteau boisé qui domine la vallée de la Laignes que viendront planter leur croix, le 20 décembre 1075les ermites issus de Collan, sous la conduite de saint Robert. C’est de l’ermitage de Sèche Fontaine que partira en 1084 saint Bruno pour fonder dans les Alpes le monastère de la Grande Chartreuse et l’ordre qui en est issu. Fontenay, la cistercienne, n’a-t-elle pas été fondée en 1119 sur les lieux mêmes où était retiré l’ermite Martin. Bien d’autres exemples pourraient être cités.
Si nous ignorons quand et comment est entré dans le patrimoine de la nouvelle fondation, le fonds qui constituait initialement l’assiette de l’ermitage, on peut penser que la construction des premiers lieux réguliers fut entreprise grâce à la générosité du duc Eudes III. Elle fut accompagnée ou suivie par la première grande dotation consentie au Val par le duc de Bourgogne. C’est en effet par ses lettres de concession de 1205 que sera consenti par lui, le don des bois et terrains qui sont autour de la maison.
Presque simultanément, le pape Innocent III, dans sa bulle du 11 février 1205 consacra canoniquement la nouvelle fondation qui sera placée peu après sous le vocable de « Notre Dame et saint Jean Baptiste ». La décision du pontife consacrera également la constitution particulière établie par le frère Viard. On le voit, la situation apparait assez traditionnelle par l’action conjuguée d’un religieux et d’un bienfaiteur laïc. Si Viard fut bien le fondateur du Prieuré du Val des Choux, sur le plan institutionnel et spirituel, c’est au duc de Bourgogne Eudes III que reviendra la fondation sur le plan du temporel.
Naissance d’un nouvel ordre
L’existence du texte original des institutions mises en place initialement par le frère Viard est incertaine. A-t-il seulement existé ? Nous en connaissons indirectement la teneur par la bulle du 11 Février 1205 qui consacre la naissance d’un nouvel ordre monastique.
Cette naissance s’appuie sur la règle de saint Benoît combinée avec certaines institutions des chartreux et des us de Citeaux. C’est sans doute la référence à la règle qui est à l’origine de la décision du souverain pontife. Nous savons en effet qu’Innocent III (1198-1216) était hostile à la création de tout nouvel ordre monastique. Le Concile de Latran de 1215 convoqué par sa bulle d’indiction « VineamDominiSabaoth » du 19 avril 1213, avait décidé que toute nouvelle maison religieuse devait adopter une règle déjà reconnue, celles de saint Augustin, saint Benoît ou saint Basile.
Cartusien est le titre de prieur qui sera donné au supérieur de l’ordre du Val des Choux qu’il conservera durant toute l’existence de sa maison, laquelle ne sera jamais qualifiée d’abbaye. De même, est issue des institutions des chartreux, la présence de cellules dans lesquelles les religieux se retireront durant une partie de la journée.
En revanche, l’organisation des offices quotidiens, les repas pris en commun ou l’organisation du travail sont d’inspiration cistercienne.
On relève toutefois dans la décision du pape une contradiction avec les dispositions de la règle. Innocent III en s’adressant aux religieux du Val des Choux leur précise qu’ils « vivront de leurs revenus ». Le chapitre 48 de la règle de saint Benoît, dispose dans son article 8 : « Car c’est alors qu’ils sont vraiment moines, quand ils vivent du travail de leurs mains, comme nos Pères et les Apôtres. »
La première constitution mise en place au Val était particulièrement rigoureuse à tel point que le successeur d’Innocent III, fut amené, sans doute à la requête des religieux, à en atténuer la dureté.La bulle« Luxtavocemdominicam » d’Honorius III du 1er avril 1223 va les autoriser à prendre en chapitre général les mesures nécessaires à cet effet.
La mention du chapitre général laisse entrevoir qu’à la date à laquelle la décision du pape a été rendue, il existait déjà un certain nombre d’obédiences appelées, elles aussi, prieurés. Ces « établissements secondaires » resterontsous la dépendanceet l’autorité de la maison mère qui prendra le titre de grand prieuré pour s’en distinguer.
Combien étaient-ils en 1223 ? Tout au plus six auxquels viendront s’ajouter quinze autres avant la fin de la première moitié du XIIIème siècle, soit par voie de fondation, soit par voie d’agrégation à l’ordre. L’expansion fut donc extrêmement rapide puisqu’elle se réalisa en un peu plus de 50 ans. Mais elle fut également très brève puisqu’ aucune autre maison ne vint s’ajouter à celles existantes durant les cinq siècles qui suivirent. En voici la liste très succincte :
- Clairlieu peut-être le premier prieuré fondé vers 1210?
Puis viendront dans l’ordre :
- L’Epeau dans le diocèse d’Auxerre (Canton de Donzy dans la Nièvre) en 1214.
- Le Val Croissant dans le diocèse d’Autun (canton de Saulieu) en 1216.
- La Genevroye dans le diocèse de Langres (Canton de Vignory, arrondissement de Chaumont) en 1216.
- Vauclairdans le diocèse de Langres (Commune de Giey-sur-Aujon – Canton d’Auberive), en 1219.
- L’Abbayotte dans le diocèse de Langres (Commune de Magny-sur-Tille, Arrondissement de Genlis) vers 1224.
- Vausse dans le diocèse de Langres (Commune de Chatel-Gérard, arrondissement de Noyers) avant 1235.
- Ardschatten (Ecosse, Comté d’Argyll) entre 1230 et 1233.
- Beaulieu (Ecosse – Comté d’Inverness) en 1230.
- Pluscarden(Ecosse – Comté d’Elgin) en 1230.
- Le Val Dieudans le diocèse de Troyes (Canton de Sézanne – Arrondissement d’Epernay) entre 1234 et 1253.
- Le Val Ducdans le diocèse de Langres (Commune de Salives, canton de Gracey-le-Château) avant 1248
- Remonvaux-en-Bassigny dans le diocèse de Toul (Commune de Liffol-le-Petit, Canton de Saint Blin, Arrondissement de Chaumont), avant 1248. Eteint et réuni avant la Révolution au Grand Prieuré, redevable de ce fait au séminaire de Toul de pareille pension annuelle de cinquante livres.
- Lavaudans le diocèse de Sens (Canton de Saint Fargeau, Arrondissement de Joigny) en 1249.
- Saint Nicolas de Réveillon dans le diocèse d’Auxerre (Commune d’Entrain, canton de Varzy, arrondissement de Clamecy) en 1250.
- Notre Dame de Beaupré dans le diocèse de Sens (Commune de Soumaintrain, Canton de Château-Landon, arrondissement de Fontainebleau), vers 1230. Eteint et réuni avant la Révolution au Grand prieuré qui devait payer de ce fait au petit séminaire de Sens, la somme annuelle de cinquante livres.
- Uchondans le diocèse d’Autun (canton de Mesvres, arrondissement d’Autun) vers 1250.
- Le Val saint-Benoîtdans le diocèsed’Autun (Commune d’Epinac, Canton et arrondissement d’Autun)
- Royal-pré dans le diocèse de Lisieux (Commune de Criqueville, canton de Dozulé, arrondissement de Pont-L’Evêque – Calvados) en 1255.
Chacun de ces prieurés était à la tête d’un patrimoine propre d’importance assez variable. La plupart d’entre eux disparurent au cours des siècles par suite soit d’extinction, soit parce qu’ils avaient cessé d’appartenir à l’ordre. Au moment du rattachement du grand prieuré du Val des Choux à l’abbaye de Sept Fons en 1764, il ne restait plus que trois prieurés à la collation du grand prieur : Vauclair, Beaupré et Remonvaux, qui seront purement et simplement supprimés par la décision de rattachement.
Pluscarden, un prieuré du Val des Choux en Ecosse
Nous venons de le voir, trois prieurés appartenant à l’ordre du Val des Choux furent fondés en Ecosse : Beaulieu, Ardschatten et Pluscarden. Rien ne prédestinait ces maisons à demeurer dans le giron du grand prieuré. L’éloignement en premier lieu contribuera à distendre les liens avec la maison mère. La dispense accordée aux obédiences écossaises d’assister aux chapitres généraux annuels de l’ordre, au Val-des-Choux, nous le démontre. La guerre de Cent ans va accentuer la coupure avec les prieurés de France.
Les révolutions religieuses en Angleterre mettront un terme à l’existence de ces prieurés. Deux d’entre eux, Beaulieu et Ardchatten ne renaîtront jamais de leurs cendres. Le troisième retrouvera tardivement une vie religieuse.
Pluscarden a été fondé en 1230 par Alexandre II d’Ecosse. En 1454, à la suite de sa fusion avec le prieuré d’Urquhart, Pluscarden est entré dans l’ordre bénédictin en devenant dépendance de l’abbaye de Dunfermline. A la fin du XVIème siècle, le prieuré, ruiné, a cessé d’avoir une communauté et le domaine a été administré par des laïcs.
La propriété a été achetée en 1897 par John Patrick Crichton-Stuart qui commença à la restaurer, mais les travaux cessèrent à sa mort en 1900. Son successeur, Colum Crichton-Stuart fit donation en 1943 du prieuré et de son domaine à l’abbaye bénédictine de Prinkhash et une petite communauté reprit possession de lieux en 1948. En 1974, Plusgarden rompit le cordon ombilical qui la reliait à Prinkhash pour prendre le statut d’abbaye. La nouvelle maison est toujours active de nos jours.
Une certaine tradition châtillonnaise veut que l’ordre du Val-des-Choux, malgré son extinction au XVIIIème siècle, se soit perpétué à travers l’abbaye de Plusgarden.
Le temporel du grand prieuré
Très rapidement et dans les décennies qui suivirent la fondation du grand prieuré, les chapitres généraux vont adopter les usages applicables à Citeaux (Ecclesiastica officia). Le rapprochement à l’ordre cistercien ne sera pas sans conséquence sur l’évolution du temporel. A l’origine, les moines du Val des Choux, ont subsisté essentiellement grâce aux revenus en argent ou en nature provenant des donations consenties par la féodalité et qui constituaient, en dehors de l’enceinte monastique, l’essentiel de leur patrimoine. Le travail manuel des religieux, exigé par la règle bénédictine, devait se limiter à l’intérieur de l’enclos, au potager, au verger ou peut-être encore à la forge et au moulin. Les religieux ne faisaient d’ailleurs qu’appliquer l’invitation faite par Innocent III dans sa bulle du 11 février 1205.
Le prieuré va rapidement s’orienter vers l’activité agricole et notamment l’activité pastorale. Le temporel va s’accroitre en conséquence. Les usages forestiers octroyés au prieuré illustrent le mieux cette évolution.En 1209, le duc de Bourgogne Eudes III fera donation au Val du libre usage dans la totalité de sa forêt de Villiers-le-Duc à l’exception du droit de pâturage. Son fils Hugues IV qui lui succèdera, supprimera en 1266 cette exclusion.
Le prieuré bénéficiera à ses débuts, comme toute fondation monastique, de la générosité des féodaux. Les ducs de Bourgogne furent les principaux et les plus généreux donateurs. Les seigneurs locaux de moindre importance emboiteront le pas. Les donations fort nombreuses au début de l’existence du Val dans la première moitié du XIIIème siècle vont se raréfier fortement par la suite. Dans la seconde moitié du siècle, elles laisseront la place aux acquisitions à titre onéreux qui deviendront majoritaires. Cette évolution est à rapprocher de l’arrêt de l’expansion de l’ordre. Elle traduit sans doute le début d’un déclin déjà amorcé dans l’ordre cistercien.